La roue s’élance. Au pas. Au pas. Au pas.
La vitesse se contient, rassemble ses forces pour mieux s’élever. Des lames mécaniques font tanguer mon vaisseau. Tout doucement d’abord, le siècle a mis à mal les rouages de mon engin. Puis le moteur se met en branle écrasant plusieurs nichés de chats coincés sous ses roues. Enfin, le bastringue nous délivre et sa rythmique écaillée couvre enfin les grincements des machines. Mon cœur en suspens pose les armes. Il se nourrit du rêve permanant qu’on lui mente. Il aime les histoires. Celles du baron de Münchhausen, de Phileas Fogg et du Taugenicht. Ses battements, fiévreux, accompagnent un décollage imminent. Dans l’obscurité du brouillard, mon regard se porte vers les astres radieux que je m’apprête à rejoindre.
Suis-je en vie ?
Les chevaux accélèrent. Je suis seul à bord. Ma carcasse étincelle au son des cuivres. Depuis le grand platane là-bas, je le sais, on ne voit que moi. Les grandes ailes rouges de ma Torpedo s’étirent. Narguant les planètes dont elle dépasse la course. Dans ce monde qui va de plus en plus vite, la foule se fige. J’aperçois cette petite fille. Sa frange, ses nattes. Avec sa grand-mère, sur les marches, au loin, du grand palais. C’est la femme que j’épouserais. Comment s’appelle t’elle ? Elle réapparaît toutes les huit secondes. La pellicule d’un film au ralenti. Je ferme mes yeux. Je compte. Lorsque j’ouvre mes paupières, elle est encore là.
Le carrousel progresse et s’envole. Son ressac me grise tandis que le piano à manivelle fige le brouhaha des plaisanciers qui se baffrent de gaufres. Au centre, l’armée des singes frappe des cymbales. Leurs rictus crissent. Ils font un tour et regagnent leur nichoir après chacun de mes passages. Réglés sur du papier à musique. Je m’enivre des sucres absorbés. Le manège s’élève au dessus de la ville. Je me laisse faire et deviens l’enfant qu’il porte. Quelque soit la valse et le train, je ne réussis à atteindre les chevaux derrière lesquels ma voiture galope. Mais ma joie à raison de cette contrariété. Ceux qui me suivent ne me rattrapent non plus jamais. Je lévite dans une apesanteur de gloire, et j’ai touché la lune. Une douzaine de fois.
Puis, subrepticement, vint un moment, je me rappelle très bien de ce moment où, au plus entraîné de sa course, il y a la première note décadente. Celle qui appelle la chute. Comme une tâche d’huile qui s’étend, la mécanique commence à se corrompre. Le mouvement qui l’entraînait il y a un instant à s’affranchir de sa lourde pesanteur, raidit et freine à présent l’ascension du carrousel. « Tu es libre de t’envoler, je vais t’aider à t’envoler. Mais tu ne voleras pas sans moi, ricane t’il. » C’est le sac de sable qui fait monter le bouchon de liège auquel il est attaché et qui précipite sa chute lorsque le bouchon finit par le dépasser dans les airs. Le chapeau de la cime tombe dans l’abîme. Sourds à mes appels, les chevaux ralentissent en effet. Leur fatigue sourde est inévitable. La cloche retentit. Engage t’elle les enfants environnant à venir se rapprocher ou agit-elle seulement à extirper les apprentis cosmonautes de leur rêve. La grisante chevauchée se fige petit à petit…
Et l’immobilisme finit par triompher de la campagne qui hier se soulevait toute entière…
Je doute à mon tour. Celle qui m’accompagne ce mercredi à nouveau, cette femme qui est ma mère, a-t-elle pensé à acheter plusieurs jetons ? Le tour du monde pour quelques pièces de fausses monnaies ne vaut-il pas d’en posséder des coffres entiers ?
Le cinéma, le cirque et même le théâtre sont invoqués par ma mère pour décrire le saut d’humeur qui m’anime alors. Traînant des pieds, j’exprime mon souhait de changer de famille. A notre retour, le chat étire ses babines. Poussière de moustache sur museau gris, Pistache donne à la lune qu’il mimait sur le grand fauteuil, des airs de Pompadour enfarinée.
Leïla dit
RépondreSupprimerComme Judith
Bienvenue Prune !
Intervention stimulante de surcroît.